Afin d’offrir aux humains – et aux autres habitants de la planète – une vie en bonne santé physique et morale, il ne faut peut-être pas plus d’énergie, ni qu’elle soit plus propre, il nous faudrait plutôt davantage de conscience. Tant que les êtres humains manqueront de sagesse, limiter l’énergie disponible peut se révéler utile. Le « manque » d’énergies douces capables de remplacer le pétrole pourrait alors s’avérer avantageux.
Dégrader la planète proprement
Le « problème de l’énergie » est aujourd’hui au centre de nombreux débats : trop polluante, non renouvelable et de plus en plus chère. Certains attendent de nouvelles inventions ou rêvent d’une fusion nucléaire totalement maîtrisée, d’autres misent sur la possibilité d’un développement considérable des énergies vertes.
Pourtant, sur le long terme, le vrai problème réside moins dans la disponibilité ou la propreté de l’énergie que dans l’utilisation que nous en faisons. Les dérèglements du climat ne sont que l’une des conséquences de l’usage excessif de notre puissance énergétique : la destruction des milieux naturels, l’extinction d’espèces, le stress chronique, la perte des liens sociaux, aussi bien en ville qu’à la campagne, découlent, eux aussi, d’un usage massif et déraisonné de l’énergie.
Face à ce constat, nous sommes amenés à conclure que si notre énergie était infinie, à moins de faire preuve de plus d’intelligence et de bienveillance, l’humanité dégraderait encore plus son propre environnement.
Ainsi, face aux promesses d’une énergie plus propre, nous pourrions répondre : et si nous avions déjà suffisamment d’énergie mais que nous l’utilisions mal ? Notre défi n’est peut-être pas de rendre l’énergie plus propre mais plutôt de la répartir équitablement, de l’utiliser mieux et moins vite ?
Certains pourraient alors avancer que les nouvelles technologies sont plus économes en énergies. Le constat s’arrête là, car avec une voiture qui consomme moins, par exemple, les automobilistes ont tendance à conduire plus loin et plus souvent. Résultat, ils finissent par consommer davantage. C’est ce que l’on appelle « l’effet rebond ». Lorsqu’on prend le temps de l’observer, on se rend compte que ce fâcheux effet rebond nous guette à peu près partout, dès qu’une économie d’énergie pointe son nez, on consomme sans retenue. Serait-ce une preuve que la conscience de polluer nous limite dans notre usage des ressources? L’illusion de ne pas polluer nous pousse en tout cas à consommer davantage.
Au niveau personnel, les limites nous permettent d’avoir une intégrité physique, une certaine santé. Lorsque l’on a conscience de ses limites, on évite par exemple de trop manger ou de rester trop longtemps sans dormir. Le café, ainsi que d’autres stimulants, ou les aliments allégés, permettent de repousser, un temps, ces limites.
Au niveau collectif, un bon usage de l’énergie passe par le respect des limites naturelles, qui se rappellent parfois à nous lorsqu’on les ignore trop longtemps. Nous pourrions par exemple chercher à écouter les rythmes biologiques – en nous et autour de nous – et respecter les équilibres vivants dont nous faisons partie.
La liste des effets négatifs qu’une puissance sans limites peut avoir sur l’environnement et sur l’humain peut être longue. Pour donner un exemple : avec une scie, je coupe un arbre, avec une scie à moteur je coupe 10 arbres, avec des bulldozers je rase une forêt en peu de temps et sans trop d’efforts. Que les machines qui détruisent une forêt fonctionnent avec une énergie propre ou sale ne change pas grand-chose sur le long terme. Polluer est dommageable, certes, mais épuiser les ressources, faire disparaître des espèces et mettre en péril la biodiversité avec de l’énergie propre, revient à vouloir faire la guerre et raser un pays sans émettre de CO2.
En prenant un peu de recul sur le problème du CO2, nous pouvons nous rendre compte que même en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, ou en les ralentissant pour laisser le temps à la nature de les absorber, l’environnement et les autres paramètres qui donnent à la vie sur Terre l’équilibre que nous connaissons aujourd’hui, resteraient menacés à court ou moyen terme.
Dans l’histoire de l’humanité, l’énergie a toujours été un outil de pouvoir et de modification de l’environnement. Avant le pétrole, la force de travail des animaux et des humains, esclaves ou non, a permis à la fois de bâtir des villes, de faire de belles inventions, mais aussi de créer, involontairement et sur des milliers d’années, des déserts, tel que celui du Sahara. Depuis l’ère moderne, avec l’immense énergie apportée par le pétrole, la désertification, l’extinction d’espèces et la diminution du nombre d’animaux et d’insectes se sont accélérées, les burn-out et autres mal-êtres psychologiques touchent de plus en plus de personnes dans des pays gourmands en énergie tels que la Suisse.
Que se passerait-il avec une énergie sans limites ? Couplé à des décisions pas toujours appropriées, un pouvoir énergétique infini et non maîtrisé, pouvant produire des effets accélérés et à très grande échelle, dégraderait notre lieu de vie bien plus que l’aviation, la voiture ou le chauffage ne polluent aujourd’hui.
Ainsi, la situation pourrait se résumer en disant que le danger est l’excès d’énergie additionné à des humains peu responsables ou insuffisamment conscients des répercussions de leurs actes. Face à ce constat, deux solutions (au moins) s’offrent à nous : rendre les humains capables de bien utiliser une énergie infinie ou alors limiter l’énergie disponible pour promouvoir la réflexion, individuelle et collective, et favoriser la bonne utilisation de cette puissance.
Energie et responsabilité
La question du rapport entre humanité et énergie n’est pas nouvelle. La mythologie grecque, nous apporte par exemple la célèbre histoire de Prométhée, elle-même inspirée de sources plus anciennes. Ce personnage aurait dérobé le feu aux dieux pour le donner aux humains, qui, n’ayant ni griffes, ni crocs, ni bonne fourrure étaient trop faibles face aux animaux.
Cadeau salvateur, le feu porte cependant en lui l’ambiguïté du danger. Prométhée signifie en grec « le prévoyant », mais il est également imprudent et finit puni pour son vol. Dans son oeuvre Protagoras, Platon raconte qu’en plus du feu, les humains auraient reçu des sentiments de sagesse, tel que le sens de la justice, afin d’éviter qu’ils ne s’entre-tuent. Dans la mythologie grecque, le feu est également lié à l’excès ou à l’orgueil et peut mener l’humanité à vouloir se substituer aux dieux (1).
De multiples cultures, sinon toutes, font de leurs dieux les dignes possesseurs de la puissance sans limites. Dieu serait force de vie et de destruction, mais aussi doté d’une connaissance, et parfois d’une bonté, infinies.
Indépendamment de toute mythologie ou religion. Il paraît évident que les humains, détenteurs d’une immense puissance, gagneraient à cultiver davantage leur sagesse. Si l’usage du feu est l’une des grandes caractéristiques de l’humanité, la conscience, l’intelligence et les sentiments sont aussi ce qui fait de nous des êtres humains.
Alors qu’au 16e siècle, l’auteur français Rabelais écrivait : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », aujourd’hui, nous pourrions déclarer qu’« énergie sans conscience n’est que ruine de l’humanité ». Grâce à l’énergie, nous multiplions notre capacité à créer un monde meilleur ou simplement agréable ou à détruire la planète et à faire de notre environnement un enfer. En forçant un peu la comparaison, on pourrait rappeler que l’enfer chrétien est justement fait de feu et non pas d’eau pour nous noyer ou de famine ou d’autres malheurs.
Les bienfaits d’une énergie limitée et produite localement
Lorsque l’on regarde l’état de la planète, force est de constater qu’aujourd’hui, nous manquons de sagesse dans l’utilisation de notre puissance.

Par conséquent, en attendant (activement) de devenir sages, nous pouvons réduire les dégâts en limitant l’utilisation de l’énergie : par son prix, par sa disponibilité et (paradoxalement) car elle pollue. En effet, le souci d’éviter la pollution pousse les individus et les Etats les plus consciencieux à s’auto limiter.
C’est pourquoi, on peut s’opposer au bien fondé de tout projet visant à trouver une énergie propre et infinie. Par contre, développer de petites productions d’énergie locales, autonomes, décentralisées et avec une puissance limitée, permettrait à chacun de produire sa propre énergie de manière plus autonome et dans des quantités adaptées.
Des structures plus petites offriraient par exemple une solution au problème des éoliennes tuant les oiseaux. Moins hautes et construites à l’échelle d’un quartier ou d’un groupe de maisons, ces structures seraient situées en dessous des masses d’air, voies de passage pour les oiseaux. Le biogaz et d’autres formes de production d’énergie à petite échelle pourraient aussi se démocratiser.
Avec une énergie limitée, la vie moderne pourrait devenir adulte et trouver son équilibre. Cultiver un confort qui ne sacrifie pas le bien-être individuel, collectif, environnemental et économique. Un confort durable et source d’épanouissement plutôt que de dépendance.
Lorsque nos ressources sont limitées et que nous devons faire davantage d’efforts pour agir, nous réfléchissons davantage, nous agissons de manière plus raisonnée et la société que nous construisons s’organise de manière plus adaptée aux besoins des humains et du vivant.
Chacun peut imaginer à quoi ressemblerait un monde basé sur une énergie limitée et décentralisée : nous nous déplacerions régulièrement à vélo ou à pied et il serait plus facile de trouver un travail près de chez soi car la compétition pour trouver un emploi serait le reflet des distances plus courtes que nous pourrions parcourir chaque jour. Les marchés locaux renaîtraient et notre nourriture serait plus saine, sans apports massifs d’engrais et de pesticides importés. La vie sociale et les activités de proximité augmenteraient. L’économie serait dynamique et reposerait sur des besoins plus directs et ayant plus de sens. Le travail retrouverait alors davantage de signification ce qui augmenterait le bien-être général.
Plus détendus, mieux nourris et plus mobiles, nous serions peut-être en meilleure santé. Un partage des ressources, tel que les moyens de transports motorisés, les fours, les machines, pourrait libérer de l’espace dans nos maisons et nous permettre de rencontrer nos voisins. La vie civique et les liens sociaux n’en seraient que meilleures. Bien-sûr tout ne serait pas forcément parfait, et certains conforts et certains luxes ne seraient plus accessibles. Cependant, tout ne s’écroulerait pas avec moins d’énergie.
Pendant que nous pouvons encore profiter d’une puissance immense mais limitée dans le temps, nous pouvons mettre en place un monde durable. Les énergies vertes et décentralisées sont certainement le modèle le plus écologique, elles sont également facteur d’autonomie et de sécurité. Grâce à la présence de stations d’énergie nombreuses et distribuées sur tout le territoire, le risque de black out national et la vulnérabilité de l’approvisionnement en énergie sont réduits.
Produire de l’énergie de manière locale offre également l’avantage de réduire les pertes d’énergie générées lors de son transport (les lignes électriques perdent de l’électricité à chaque km, une perte qui peut s’estimer à 10 % de l’électricité transportée).
Ainsi, développer les énergies « vertes » et les rendre disponibles localement, gérées par quartier, avec de petites centrales de production, se présente comme une solution réelle au « problème de l’énergie » excessive et sans conscience. Naturellement limitée par les contraintes inhérentes aux énergies douces et utilisée avec plus de conscience, cette énergie sera plus propre et elle nous permettra peut-être de créer un monde plus harmonieux.
Notes:
1. source Wikipedia, article Prométhée.