Lorsque l’on souhaite agir pour le climat – ou pour sa santé – de nombreux domaines s’offrent à nous. On peut faire de petites actions et peu à peu cela peut faire boule de neige. Chaque acte compte mais si l’on veut vraiment du changement, on doit changer de système, et pour changer de système, il faut réinventer notre culture, notre imaginaire.

On ne peut pas changer le monde en dansant sur Britney Spears.

Pour cultiver un monde plus juste, nous devons créer et incarner une culture qui respecte nos valeurs. Cela passe par l’art, la musique, la nourriture ainsi que par l’habillement.

Dans une future société (à créer dès aujourd’hui) respectueuse de l’environnement et de l’humain, on s’habillera différemment. On ne pourra plus consommer 14 kilos de vêtements par an – moyenne mondiale en 2014 (1) – ni profiter de bas prix grâce aux petits salaires d’ouvriers en Chine, au Bengladesh ou au Pakistan, car c’est de là que viennent une grande majorité de nos vêtements.

Dans une culture respectueuse du vivant, on ne portera plus de couleurs vives qui polluent nos rivières et on refusera d’utiliser des textiles synthétiques issus du pétrole. En effet, le polyester est désormais le premier textile au monde et ses microplastiques polluent les mers et les sols. 500 000 tonnes de ces microplastiques seraient relâchées dans les océans chaque année. D’après une étude menée sur les rivages de la Suède, environ 90% des microplastiques viennent de fibres textiles synthétique. Ce sont nos vêtements, nos canapés, nos tapis etc.

La seconde main ce n’est pas la bonne solution (ou la seule)

Cela fait plus de 10 ans que je n’achète plus rien de neuf et j’en suis assez contente, pourtant, quelque chose ne va pas.

D’une part, je contribue à donner bonne conscience à ceux qui achètent et jettent des vêtements régulièrement et je dépends de ce gaspillage pour m’habiller.

Certes, mes vêtements n’ont pas été produits pour moi et n’ont pas voyagé exprès pour moi, mais ils contiennent encore une bonne partie des produits chimiques liés à leur production et à leur coloration. A chaque lavage ces produits polluent l’eau et tous les jours, cette chimie est en contact avec ma peau.

De plus, la seconde main soutient la culture de la consommation, cette culture que nous devons justement changer. Avec des vêtements d’occasion, je me fonds dans le décor, je fais comme si tout allait bien, comme si l’on pouvait vraiment remplir nos armoires de vêtements de toutes les couleurs et de toutes les formes et comme s’il était normal d’en porter des nouveaux chaque année (voire chaque mois).

Pour créer le monde que nous souhaitons dès aujourd’hui, un nouveau modèle s’impose et nous devons faire évoluer notre relation aux vêtements.

Renoncer à la mode vestimentaire et exprimer sa créativité autrement

Qui dit mode, dit surconsommation, vêtements pas chers pour en avoir plein et teintures pour multiplier les produits afin de vendre plus. Renoncer à la mode, c’est sortir d’un système d’obsolescence programmée : pour que l’on achète ses produits, en plus de produire des vêtements qui s’abîment vite, l’industrie de la mode crée de nouvelles tendances qui rendent nos vêtements ringards en peu de temps ou qui nous donnent envie de nouveauté.

Comment afficher sa singularité sans mode? Dans un monde un peu robotisé et anonyme, les vêtements sont devenus un moyen de dire qui l’on est, d’exprimer nos idées, notre créativité, notre originalité, notre appartenance à un groupe, à un milieu social ou d’afficher notre rejet des conventions. Il existe pourtant d’autres moyens de s’exprimer, même sur son apparence physique, plus bas j’y reviens.

Dans le monde de la mode, on a beau avoir un style différent, on finit tous par faire pareil : surconsommer. Ces quinze dernières années, la consommation de mode chez les occidentaux a doublé ! L’industrie vestimentaire produit 10 % du Co2 mondial et chaque année, plus de 100 milliards de vêtements et d’accessoires sont vendus dans le monde. Rappelons que nous sommes environ 8 milliards d’être humains. On peut se demander comment il est possible de consommer autant… Ajoutons à ce bilan les vêtements jetés sans même être vendus.

D’après le PNUE, en 2050, un quart de notre budget carbone mondial sera utilisé par la mode, si l’on ne change rien. On peut encore citer beaucoup de chiffres, mais cela risquerait de déprimer les lecteurs.

Comment améliorer la situation? Cultiver du coton bio en Asie (toujours gourmand en eau et en CO2) et continuer à jeter nos vêtements par tonnes ?

Produire mieux n’enlève pas le problème de surconsommation, une situation qui s’aggrave avec l’augmentation de la population. Pour sortir de cette situation, nous pouvons changer notre rapport à l’habillement.

Comment est née cette surconsommation ?

Avant l’industrialisation, et jusqu’au 18e/19e siècle, il n’y avait pas vraiment de mode, sauf à la cour du Roi, puis peu à peu dans les villes grandissantes. Les vêtements coûtaient cher, ils étaient faits pour durer. On avait donc peu de vêtements et on les réparait. Ils étaient souvent faits en chanvre. Chez les plus riches, l’habillement servait à marquer la distinction sociale, selon la qualité de l’étoffe, le nombre de couleurs et le nombre de vêtements que l’on possédait.

Avec la mécanisation, l’agriculture chimique, les importations, l’exploitation de travailleurs pauvres et d’enfants, un plus grand nombre d’occidentaux ont eu accès à des vêtements à bas prix. A partir de là, sans être particulièrement riches, il est devenu possible d’arborer couleurs et styles différents, au gré de ses envies, variant de jour en jour son habillement.

Ce n’est pas par simple vanité que les personnes ont envie de vêtements variés. Par exemple, l’envie de diversité de vêtements répond parfois à un besoin d’exister, d’être aux yeux des autres, d’exprimer qui l’on est. Ce besoin peut être d’autant plus grand que peu d’espaces d’expression sont laissés aux personnes. Il n’est en effet pas toujours facile de laisser sa trace dans une société plutôt anonyme, où l’on travaille pour le projet de celui qui nous emploie et où l’on n’a pas sa propre maison ou son propre jardin pour agir sur le monde. Pourtant, au-delà des vêtements, nous pouvons créer, ou valoriser, d’autres espaces d’expression.

Pour résumer l’évolution récente de l’habillage :

Jusqu’au 18e, fin du 19e siècle :

  • fibres naturelles (chanvre, lin, laine, principalement)
  • production sans produits chimiques
  • production peu gourmande en eau
  • artisanat et économie locale
  • vêtements de qualité
  • prix plus élevé
  • peu de quantité de vêtements
  • peu de couleurs (en général couleur naturelle)

A partir de l’industrie de la mode de masse, fin 19e et début du 20e siècle :

  • fibres synthétiques en majorité
  • production avec produits chimiques (aussi pour les fibres naturelles)
  • exploitation d’employés à l’étranger
  • bas prix
  • grandes distances
  • basse qualité
  • grande quantité de vêtements
  • beaucoup de couleurs en teintes chimiques (polluantes et dangereuses pour la santé)

1. La chimie a permis davantage de couleurs et de matières synthétiques, ce qui a fait baisser les prix.

2. Le transport et l’exploitation de populations plus pauvres permet encore de faire baisser les prix.

3. Les bas prix ont permis l’augmentation de la consommation (avec un même budget que pour des vêtement de qualité en quantité raisonnable).

En conclusion, il n’y a pas de vêtements à bas prix ET écologiques. Les vêtements pas chers, impliquent en amont davantage de pollution et d’exploitation humaine, et le bas prix crée un autre problème : la surconsommation. Par conséquent, nous devrions revoir notre image des vêtements chers : un prix plus élevé c’est finalement positif, dans les causes comme dans les effets.

Dans un futur proche, s’il faut y mettre le prix, peut-être que l’on ne se démarquera non plus par le style fashion et la quantité de vêtements, mais par l’excellence et la qualité écologique et éthique de nos vêtements.

Choisir le changement

Avoir beaucoup de vêtements de qualité cela coûte cher, c’est vrai dans le passé comme aujourd’hui, rien n’a vraiment changé de ce point de vue. Par exemple, un vêtement fabriqué en France avec du lin français bio, coûte environ 10 fois plus cher qu’un vêtement de basse qualité produit en masse au Bengladesh.

Par conséquent, si je veux acheter des produits qui respectent mon éthique et ma santé, je dois soit :

  • soit dépenser 10 fois plus, pour tenir le rythme (pour avoir des vêtements multiples comme les autres).
  • soit dépenser pareil, mais avec moins de pièces de vêtements. C’est-à-dire que je dois renoncer à la culture de la consommation et à la mode.

C’est cette 2e solution que je propose, et elle offre beaucoup d’avantages au delà du calcul du prix.

Lancer une anti-mode hors de la mode, une nouvelle culture post fashion

Si je m’offre un vêtement de haute qualité, le vêtement de rêve, beau, écologique, agréable à porter, qui fait me fait tant plaisir à acheter chez un producteur local, comme c’est cher, je ne m’en achète qu’un et je continue de porter le reste ?

Si je veux me fondre dans la masse ou faire comme tout le monde en variant les couleurs et les formes en ayant multitude d’habits, mon vêtement idéal acheté un jour généreux (et mon monde idéal) se fondra dans la masse. Tout sera resté pareil, j’aurai juste fait une bonne action (pour moi et pour la planète).

Alors, le vrai changement quel est-il?

C’est l’anti-mode. Je me débarrasse de l’idée de m’habiller avec peins de vêtements différents et avec des couleurs flashy, du blanc ou du noir, j’arrête de changer de look chaque jour ou chaque deux jours, et avec ça, je me débarrasse de mes anciens vêtements. Certes, je vais consommer des produits neufs mais c’est un mal pour un bien : une transition culturelle. Je refais ma garde-robe en mode « de haute valeur – ecolo – sain – local ».

Renoncer à la mode, c’est diffuser un nouveau modèle, celui où on est prêt à payer plus cher pour les meilleurs vêtements, et cela se montre en laissant derrière soi la mode de masse. Je ne joue plus à la mode avec pleins de vêtements et de motifs colorés.

Je participe à créer une anti-mode, faite de vêtements en fibre naturelle cultivée sans pesticides, traitée sans produits chimiques et colorée avec des pigments naturels (qui ne durent pas) ou laissée en teinte brute. Tout cela en local, artisanal si possible, et à un prix honnête.

Au lieu d’avoir 10 pantalons, 5 shorts, 10 jupes, 20 t-shirts et débardeurs, 20 robes, 15 pulls, 10 gilets,…affichants marques, couleurs, slogans et motifs divers, je prends ce dont j’ai vraiment besoin.

Je m’exprime autrement que sur mon look. En créant de belles choses dans ma vie, en créant des projets.

Ou alors, si je tiens à m’exprimer par mon habillement, je peux créer, par exemple des accessoires faits mains ou que j’achète à un artisan. Pourquoi ne pas accrocher mon message du jour sur mon pull avec des épingles ? Il est aussi possible de dessiner avec des pigments naturels (jus de betterave, chlorophylle, prunelles,…) et de renouveler son dessin au prochain lavage (sans fixateurs chimiques, il est difficile de teindre les tissus). Je peux aussi écrire avec des pin’s. Ou faire de la broderie comme ça se faisait avant, en style revisité : un fil en laine naturelle et mon message s’écrit à l’aiguille, puis je le découds et j’en refais un nouveau quand je change de philosophie. A travers ces gestes, nous pouvons recommencer à nous exprimer, plutôt que de porter les messages et les dessins produits par l’industrie.

Mais au delà de ces moyens de continuer à s’afficher, je pense que les vêtements doivent cesser d’être des panneaux publicitaires, des supports de propagande ou de vanité. On a mille trésors en nous pour se faire remarquer et aimer par nos pairs.

Retrouver des vêtements simples, cela me fait penser à Einstein, qui, d’après la légende, s’était fait tailler 10 costumes identiques pour ne plus avoir à se soucier de son habillage (il avait d’autres préoccupations en tête). Mais la différence, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des vêtements tous identiques. Simplement d’en avoir moins, de la meilleure qualité locale et avec peu de couleurs (ou uniquement naturelles).

Sortir de la surconsommation, cela veut dire aussi s’engager à réparer ses vêtements, auprès de couturier-e-s (un métier qui disparaît), ou en apprenant à coudre soi-même.

Une fois nos vêtements trop abimés, ils peuvent être recyclés ou compostés, car ils sont biodégradables !

Pour finir, il faudra songer à revoir ses chaussures et sa maison (literie, canapés, tapis,…). Commencer par renouveler sa literie avec des matières naturelles est un premier pas facile. Cela évite de polluer davantage car à chaque lavage de notre literie industrielle, les produits chimiques des textiles partent dans l’eau.

On peut aussi laver moins souvent ses vêtements et sa literie.

Avec moins de fibres synthétiques, l’air ambiant de nos maisons est plus sain (actuellement pollué par du formaldéhyde et autres produits tels que des retardateurs de flamme). Les textiles naturels (lin, chanvre, jute, soie, laine,…) présentent l’avantage de brûler seulement à hautes températures et de ne pas fondre comme les matières synthétiques (les vêtements en polyester peuvent fondre et causer ainsi de brûlures graves sur notre peau, tout en dégageant des fumées toxiques). Ainsi, les matières naturelles ont peut-être moins « besoin » d’être aspergées de produits toxiques anti-flammes (surtout consommées localement, car ce genre de procédé est surtout courant pour l’importation de vêtements et objets). On s’en portera tous mieux !

Quels textiles acheter ?

Parmi les fibres végétales locales produites en Europe, nous trouvons le lin (la France est le premier producteur mondial), le chanvre et l’ortie (en Chine ils ont la ramie, une cousine de l’ortie).

Ces cultures sont très écologiques car elles n’ont pas besoin de pesticides et consomment peu d’eau (le lin se contente de l’eau de pluie). De plus, ces plantes captent le CO2 : le lin capturerait 3,7 tonnes de CO2 par an ! Et le chanvre autant qu’une forêt. Mais n’allons pas surconsommer et surproduire pour autant, gardons nos forêts et achetons à prix honnête des vêtements beaux et en quantité raisonnable. Dans une nouvelle culture nous n’aurons plus besoin de nous démarquer par nos habits ou de suivre le rythme de consommation de l’industrie.

La laine et la soie ne sont pas aussi écologiques mais elles sont plus économes en ressources et en distance que le synthétique et le cotton (qui épuise les ressources d’eau et qui utilise 25% des pesticides mondiaux !).

Quand on prend conscience de l’impact de la mode et de la quantité de vêtements que l’on porte, on peut décider de sortir de ce modèle. Un jour, il sera normal de porter des vêtements naturels et locaux et de ne plus arborer de motifs flashy ou du blanc et noir artificiels.  Être à la mode industrielle deviendra peut-être même ringard…

A nous de jouer ! Cessons de porter les vêtements de cette industrie destructrice, qu’ils soient neufs ou d’occasion. Créons une nouvelle culture d’habillement qui respecte la vie et notre vision du monde !

Références :

1 . Chiffres cités par Greenpeace, dans une brochure sur l’impact de l’industrie textile : https://storage.googleapis.com/planet4-international-stateless/2018/01/6c356f9a-fact-sheet-timeout-for-fast-fashion.pdf