Si la Permaculture (un système agro-écologique efficace et éthique) a renoncé au labour, c’est pour une bonne raison. Dans une terre en forme et pleine de vie, des milliards d’insectes et des micro-organismes issus de nombreuses familles et de différents règnes, dont des champignons et les microbes, font fonctionner un système fascinant : le sol. En matière d’agriculture nous vivons une époque à la fois terrible et magnifique. D’une part, l’agriculture industrielle détruit ses sols tout en polluant l’eau et les terres. D’autre part, les agronomes et agrologues en savent de plus en plus sur ce qui se passe dans ce même sol, trop bas pour qu’on ait daigné se pencher sur lui avant.
De la page blanche où l’on fait pousser des unités végétales ressemblant à des légumes ou à des céréales, à coup de fertilisants, de labour de plus en plus profond, de pesticides et de fongicides, on passe aujourd’hui à la connaissance et à la coopération avec la vie du sol. Pour tirer le meilleur de sa terre, il ne faut pas plus d’armes chimiques et plus de machines pour la forcer à donner, il faut l’observer et utiliser ses potentiels et ses richesses avec respect et intelligence. Avec une petite touche d’amour aussi, ça ne fera que du bien.
Le labour a une longue histoire derrière lui et a peut-être des utilités. Si vous vous en servez, sachez concrètement pourquoi, pour en obtenir les bénéfices tout en limitant les inconvénients. Si vous ne labourez que parce que les anciens le faisaient déjà ou parce que vos enseignants, parents ou voisins vous ont dit de le faire, sachez qu’il existe également des alternatives au labour, tel que le semis dans des sillons. Des machines tracteurs de « semi-direct » ont même été inventées à cet effet.
Voici quelques conséquences du labour et de bonnes raisons de changer nos pratiques :
1 – Ce n’est pas parce que nos ancêtres l’on fait que nous devons continuer
Le fait de labourer la terre est tout un symbole. Celui du travail du sol, celui de la réussite du paysan qui a donné sa force, ou s’est acheté un gros tracteur pour produire à manger de sa terre.
Pourtant, cette tradition s’est perpétuée sans connaître le fonctionnement de la fertilité du sol. Ce n’est que récemment que l’on comprend l’étendue de ses richesses et de son système. Labourer fonctionne, en apparence, à l’œil nu, mais échoue au microscope. Avant de prendre nos loupes, un des signes que l’on peut observer de l’extérieur c’est qu’il faut toujours labourer plus profond. Il y a donc un problème quelque part. C’est tout simple, à chaque labour, ce qui aérait naturellement le sol est détruit. Il faut donc labourer encore plus.
2 – Les micro-organismes du sol « labourent » déjà.
Vous avez déjà remarqué que dans la forêt, ou dans les prairies sauvages, les plantes poussent par millions ? Pourtant, « personne » ne laboure. Qui rend donc le sol fertile et aéré ?
Travaillant en collaboration nuit et jour, les micro-organismes et les insectes du sol créent des galeries qui aèrent la terre et qui permettent à l’eau de s’infiltrer et de se conserver. Ils transforment et transportent également les nutriments, vitamines et minéraux notamment, qui nourriront les plantes et ceux qui les mangeront : nous. Grâce à la vie micro-biologique du sol, les plantes que nous cultivons nous nourrissent mieux, directement ou indirectement à travers l’élevage d’animaux que nous mangeons ensuite.
3 – Labourer tue la vie micro-biologique du sol
Si l’on mesure le nombre d’organismes vivants dans un sol qui vient d’être labouré, on constate qu’il y a moins de vie que dans un sol laissé sans labour durant plusieurs années. En effet, à chaque labour, de nombreux organismes meurent, puis, avec le temps, la vie peut se multiplier à nouveau. On peut considérer qu’un labour est un peu une remise à zéro du sol, puis peu à peu, celui-ci se restaure. Cependant, lorsque l’on laboure chaque année, le sol reste à un niveau faible de fertilité, ou même en diminution.
Pourquoi le labour a cet effet ? Voici quelques raisons.
- Les insectes et les micro-organismes vivent en harmonie ou en symbiose avec les racines dont ils se nourrissent, lorsque l’on arrache les racines en labourant, on perd de nombreux organismes qui font la fertilité du sol (voir également l’article sur pourquoi ne pas désherber (quand il sera rédigé)).
- Certaines insectes ou micro-organismes sont spécialisés pour vivre dans une certaine couche du sol ou à l’extérieur. En retournant la terre, ils se retrouvent au mauvais endroit et meurent par manque d’oxygène, par dessèchement au soleil, etc. De plus, à cause de la forme des socs de labour (des sortes de lames), la couche de humus, la plus fertile et qui se trouve normalement à la surface du sol, se retrouve en dessous.
- Si on se met à leur place, on peut voir le labour comme un grand tremblement de terre qui détruit le lieu de vie des micro-organismes et des insectes. Sans connaître tous les détails (on a encore beaucoup à découvrir), on peut imaginer que survivre soit difficile.
4 – Labourer rend dépendant
Comme la vie micro-biologique est réduite, les services de micro aération, de galeries permettant à l’eau de s’infiltrer, de transport des nutriments, et autres, ne sont plus assurés. Il faut donc acheter et épandre des fertilisants et labourer encore pour aérer le sol. Comme le sol est plus pauvre (surtout en cas de monoculture), les plantes sont plus faibles et sont plus vulnérables aux attaques (car en temps normal les plantes se défendent). On les protégera donc avec des pesticides (causant également une dépendance car les prédateurs des parasites qu’on veut chasser, tels que les oiseaux, ne reviendront plus nous aider).
On commence à se battre contre un sol qui produit de moins en moins et on finit par vraiment croire que c’est nous, les humains, qui faisons pousser les plantes. Pourtant, le sol et la nature donnent des tonnes de plantes sauvages comestibles, et des plantes cultivées quand on agit en douceur.
5- Labourer pollue
En plus des fertilisants (le mélange NPK notamment) et des pesticides qui polluent l’eau et les sols, le fait de labourer consomme des énergies fossiles et libère du CO2.
La construction, la maintenance et le démantèlement des machines a aussi un impact écologique.
6 – Le labour participe à l’érosion des sols
Le labour, laisse la terre à nu, déstructure le sol et arrache les racines qui maintiennent tout en place. Devenant moins perméable à l’eau, le sol se dessèche et s’envole plus facilement, c’est ce que l’on appelle l’érosion. Les coulées de boue et les glissements de terrains sont aussi liés à cette situation.
7 – Le labour participe à l’augmentation des inondations
Dans l’introduction de leur livre (voir plus bas), Claude et Lydia Bourguignon expliquent qu’il y a à notre époque moins de pluies en France et davantage d’inondations. Comment est-ce possible ? En perdant leur vitalité, et a cause du labour et du compactage du sol, le poids des machines aidant, le sol devient moins perméable à l’eau qui, au lieu d’entrer dans le sol, ruisselle en surface et s’accumule. L’infiltration de l’eau est plus lente que la chute de pluie, il y a donc inondation.
Une autre raison importante à l’augmentation des inondations est le bétonnage. Comme moins de surfaces pour absorber l’eau de pluie sont disponibles, au lieu de descendre dans la nappe phréatique, une réserve d’eau importante, l’eau ruisselle jusqu’aux ruisseaux et jusqu’aux rivières, puis jusqu’à la mer. Ce sont des milliards de litres d’eau douce qui sont perdus pour l’agriculture et pour l’eau potable.
Afin de conserver l’eau dans la terre, il est également important de garder une couverture végétale sur le sol. Plus d’infos à ce sujet dans l’article : ne pas laisser le sol nu, les bienfaits du mulch (en construction).
8 – Labourer c’est fatiguant (pour nous et pour la terre)
Si vous labourez à la pelle, c’est le cas des petits jardiniers et des paysans des régions plus « pauvres », vous avez remarqué que le labour demande beaucoup d’énergie. Pour moi, quand quelque chose est fatiguant, c’est qu’il y a un problème quelque part. Je ne parle pas de la fatigue du travail bien fait, de la satisfaction de s’être donné pour une tâche et de se reposer ensuite paisiblement. Je parle d’une fatigue plus répétitive, de fatigue sans joie, d’une fatigue qui naît d’une opposition à des forces naturelles insurmontables, ou qui perd son sens, un peu comme nager à contre courant pour remonter une rivière, lorsque l’on pourrait tout aussi bien marcher à coté pour la remonter.
La fatigue est un symptôme de plein de choses, parfois, il peut s’agir d’une inefficacité, d’une inadéquation. Peut-être que l’on devrait alors changer de stratégie ?
Dans toutes les situations de la vie, la fatigue invite à faire une pause pour se reposer ou pour réfléchir : fatigue visuelle devant un écran, fatigue mentale durant un travail, fatigue le soir à l’heure de dormir, fatigue d’une relation qui ne va pas, fatigue dans une performance physique.
Certaines fatigues sont plus simples à comprendre que d’autres. Certaines invitent au repos, d’autres au changement. Évidemment, on peut construire une machine pour continuer l’action fatigante sans en percevoir les symptômes, on peut se forcer à rester réveillé avec un café, on peut continuer à courir avec des stéroïdes, on peut prendre des anti douleurs, des anti dépresseurs et continuer dans la même direction. Seulement, la fatigue sera toujours présente, et si l’agriculteur a triomphé du sol en devenant plus fort avec ses outils, c’est le sol qui finit par se fatiguer…
Plutôt que de (se) forcer, nous pouvons observer la terre et coopérer pour produire notre nourriture en harmonie.
D’autres techniques existent, d’autres sont à inventer, et une forme de labour plus douce se développe, grâce à une plus grande connaissance du sol et de la nature. L’agriculture industrielle consomme davantage d’énergie que ce qu’elle produit (en calories), le futur c’est de créer nos aliments de manière efficace et éthique, réfléchie, respectueuse et heureuse.
Ouvrages de référence :
Le sol la terre et les champs, de Claude et Lydia Bourguignon.
Nourrir l’Europe en temps de crise, de Pablo Servigne.